Le muguet

Publié le par Brad-Pitt Deuchfalh

C'était un lundi comme un dimanche. Et en plus il faisait beau. Papa a dit que lui et maman allaient se balader en voiture en forêt. On a dit ouais. La porte de la chambre s'est refermée. Crocheton a dit "on va bientôt y aller".

Je suis pas sûr que ma mère aime la forêt autant que ça. Peut-être qu'elle y va simplement parce que papa lui propose rien d'autre. Peut-être qu'elle aimerait aller à la piscine ou à la patinoire maman plutôt qu'aller cueillir du muguet. Mais papa lui a jamais demandé. Papa lui, ce qu'il aime, c'est la forêt. Les biches. Les cerfs. La chasse-à-courre.

Quand la voiture a été au bout de la rue, nous on était déjà devant la maison.
C'était le début de notre aventure.

Le soleil était chaud. On se serait cru presque en été. Postiche était venu avec son vélo. Restait plus qu'à aller voir du côté des résidences si le garage à vélos était resté ouvert. En essayant de pas se faire choper par "tête blanche", le gardien des immeubles.

Postiche faisait le guet. Le garage à vélo était ouvert. Crocheton fouinait parmi les vélos. Soudain il a chuchoté "un VTT sans antivol" et presque en même temps j'ai dit "un vélo de bonnefemme, mais il est pas mal". On a enfourché nos bécanes.
1… 2… 3… on a ouvert la porte d'un coup et on a foncé à toute berzingue avec la tête dans le guidon jusqu'en haut de la rue des voleurs.

Quand on s'est arrêté, on a soufflé trois minutes et puis Crocheton a dit OK. On a quatre heures devant nous si on veut être rentrés à six heures. Postiche a dit j'ai une bouteille d'eau et des gâteaux. J'ai dit moi aussi. Crocheton a dit on y va.

On a pédalé jusqu'à la ville, puis on l'a traversée et on s'est retrouvé à l'entrée de la forêt. On s'est arrêté et Croch' a dit on y va. Mais c'était plutôt comme une question. Comme quand on demande si tout le monde est toujours d'accord et si y en a pas un qui va se dégonfler au dernier moment. Alors on s'est gonflé comme des baudruches et Postiche et moi on a dit oui en rigolant. Comme si on avait pas peur. Et on avait pas peur.
C'est juste que c'est la première fois qu'on allait partir aussi loin, tout seul, par nos propres moyens. On aurait pu répondre que tu vois c'est pas tellement que c'est loin et, promis, c'est pas qu'on a la trouille, mais je crois que ce serait plus raisonnable et Crocheton aurait répondu qu'il y a pas de "mais"… "Fais ce qui te plait !"
Mais de toute façon, ce qu'on a répondu, c'est GO !

On s'est mis debout sur les pédales et au bout de la route, l'ombre des arbres est devenue plus touffue et on a tourné sur le sentier des cyclistes, direction Le village des roches, et au bout du chemin, notre objectif : le château des Seigneurs.

Quinze kilomètres aller, quinze kilomètres retour.

Le sentier vacillait entre les ombres, les arbres nous accompagnaient. Parfois on croisait une famille de vélos, le papa la maman et le petit dernier. Mais c'était surtout du silence. Du silence frais qui sentait la verdure. Et quelques gouttes de sueur sur le front.

Quand on est arrivé au pied du château des seigneurs. On a sorti les bouteilles d'eau. On a grignoté quelques gâteaux et puis, vu l'heure, on a décidé de repartir. Demi-tour. On est resté à peine 10 minutes. De toute façon le château des seigneurs c'est qu'un château. Et rouler c'est plus marrant.

Sur le chemin du retour Croch' est parti devant et Postiche et moi on roulait derrière à 100 mètres. Mais soudain, bling, on a stoppé net et j'ai entendu "tu vois ce que je vois ?" et j'ai dit chuut, pas un bruit. Crocheton pédalait toujours. Il s'éloignait.
Entre lui et nous, il y avait quelque chose que je n'avais jamais vu en vrai : un sanglier. Un énorme sanglier qui barrait le sentier. Un sanglier qui nous regardait sans bouger.

Soudain en haut du chemin on a vu Croch' qui s'arrêtait. Qui faisait demi-tour. Qui revenait vers nous. Croch' s'est arrêté à 15 mètres du sanglier. De l'autre coté, à 15 mètres aussi, y'avait nous.
Personne ne jouait les malins. Et j'ai pas honte de le dire : j'ai pensé à la mort. Si ce monstre nous fonçait dessus, Crocheton nous verrait, Postiche et moi, mourir sous ses yeux. Si le monstre chargeait Crocheton, je verrais mon frère devenir de la bouillie sans rien pouvoir y faire.
Postiche était à mes cotés, silencieux. Et à ce moment-là, nous étions trois frères de sang face à un monstre.

Soudain, les fourrés ont bougé et six ou sept marcassins en sont sortis et ont traversé le sentier sous le nez de leur mère. Le dernier était pataud et un peu distrait. Et le gros sanglier nous a regardé comme une vieille dame qui s'excuse de la lenteur de ses petits, "mais vous comprenez, il est encore jeune". Et on a su qu'on allait pas mourir. Et on a regardé la famille sanglier disparaître au loin.

Jusqu'à la maison, toutes nos phrases contenaient le mot sanglier.

On a remis les vélos où on les avait trouvés. On a dit tchao à Postiche. On est entré dans la maison et papa a dit qu'il avait vu trois gamins en forêt qui nous ressemblaient drôlement et on a pas dit qu'on avait vu un sanglier. Mais je crois qu'il a senti qu'il pouvait être fier de nous. Qu'on transpirait le courage. Et il a juste dit "allez vous débarbouiller, on dirait que vous avez eu chaud…"




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Publié dans Au jour le jour

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B
C'est mal de voler les vélos. Je suis sûre que la sanglière c'était une incarnation de la justice qui venait vous poursuivre.
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L
Heureusement que maman promenait simplement ses petits et n'était pas entrain de faire ses courses pour le dîner. En tout cas merci pour la balade
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C
Bin en tout cas en civet c'est super bon le sanglier, c'est jamais qu'un cochon qui sent fort. Plus fort que le muguet c'est sûr!!
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D
Ce que ça doit être chiant parfois de savoir qu'en écrivant un texte, des commentateurs vont commenter, baver, congratuler, attendre au tournant, applaudire, vomir. Ca doit être assez (beaucoup) (trop) étouffant... Non ?
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J
Ah non ! Je suis pas d'accord ( >_< ) avec Tsaddelia. Tant pis si tu trouve que ce post a un arrière gout, moi je trouve qu'il en faut, et au contraire je trouve ça.. rafraichissant :) <br /> A la rvoyure.
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